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One Sketch A Day Keeps The Doctor Away !
11 novembre 2009

Mara Dieciocho

Oui, oui je continuerai les secrets, promis, c'est juste une parenthèse.

Hier je suis allée au cinéma (un peu en précipitation je l'avoue), voir le documentaire "La Vida Loca" de Christian Poveda. Il s'agit d'un reportage sur la vie quotidienne dans les banlieues de San Salvador, plus particulièrement au sein de la Mara 18 -la concurrente principale de la Mara Salvatrucha-. Ce film est devenu tristement célèbre car Christian Poveda, après avoir créé des liens forts avec plusieurs protagonistes plus ou moins importants de ce quartier, a été froidement descendu en septembre dernier. Mais bon, je suis avant tout ici pour donner mon avis sur le film donc pour plus d'informations sur les maras, allez voir mon précédent post sur la question et puis Wikipedia, Google, etc...

mareras

Mon avis sur le film ? Là, ça coince.

Grosse déception. J'en suis réellement à me demander si le documentaire était si mauvais que ça, ou si je suis devenue trop exigeante à force de regarder les reportages d'Olivier Delacroix. Un peu des deux je pense.

Finissons-en direct avec les points négatifs, ça sera fait.

Premièrement, on nous dit dans les médias que c'est une oeuvre poignante, vraie et qui ne tombe pas dans le voyeurisme. Ahhh ben alors j'aimerais bien savoir ce que c'est le voyeurisme dans ce cas-là ! Et pourtant je ne me considère pas comme prude mais Poveda a quand même forcé. Je pense que le voyeurisme commence lorsque ce que l'on voit n'est pas indispensable au propos... ou alors j'ai mal interprété le propos du film. Avait-on vraiment besoin de voir les multiples rendez-vous à l'hôpital de la jeune femme qui a perdu un oeil ? Que l'on apprenne qu'elle a été prise en charge par les médecins alors qu'elle n'avait ni assurance, ni vrai travail, je suis d'accord. C'était très bien montré, surprenant et touchant. On se serait attendu à ce que la secrétaire la méprise mais non. Par contre, voir l'extraction du projectile du fond de son oeil, l'insertion de son oeil de verre en gros plan, était-ce indispensable ? Je ne crois pas. Le plan où elle maquille maladroitement son nouvel oeil dans sa voiture aurait suffi à résumer l'importance de la chose.
(Au passage, je trouve vraiment touchantes et fascinantes les jeunes femmes qui ont un oeil de verre, je me souviens d'un reportage sur une prostituée brésilienne qui m'avait fait très forte impression, malgré son handicap elle était sublime... mais je digresse.)

Ce qui m'a tout particulièrement énervée, c'est cette abondance d'effets de style ; un montage quasi Hollywoodien pour certains plans, une mise en scène mélodramatique qui pour moi n'a rien à faire dans un documentaire. Voyons voir... une scène normale plutôt joyeuse se finit, une fête, un anniversaire, des filles en train de danser par exemple. Ecran noir. Blam blam blam ! Plusieurs coups de feu font sursauter le spectateur. Apparaît sur l'écran l'image d'un cadavre dans une ruelle que ramassent des policiers. Quelques plans faussement pudiques du cadavre emmené. Veillée funèbre. Un prêtre fait un sermon sur la jeunesse, l'importance de se raccrocher à Dieu. Les dieziocheros disent un petit mot pour le mort et scandent une sorte de chant, toujours le même. Un des "grands frères" promet que ça sera vengé et que "ces pédés de la Salvatrucha vont payer". Puis l'enterrement dans un cimetière. La femme, la soeur, la mère de la victime, éplorées, hystériques* sont froidement filmées en train de hurler leur douleur. Une fois ça va. Cinq fois en une heure et demie, exactement le même shéma à la séquence près, c'est beaucoup trop.
(* Attention, je ne me moque pas de la façon qu'ont ces femmes d'exprimer leur malheur, nos pudiques enterrements sans effusions ne sont pas forcément plus sains.)

Je n'ai pas non plus aimé la caméra. Certaines scènes étaient montées comme une fiction ; champ, contre-champ, à droite, à gauche. J'aurais préféré une caméra plus posée qui nous laisse décider nous-mêmes de ce que nous voulions regarder, plutôt qu'elle ne nous guide, nous donnant l'impression qu'on ne devait voir que ce qu'elle désirait. Oui, je chipote mais je donne mon avis sur le film et ça en fait partie.

Les bons points maintenant.

Le parti pris de Poveda est clair. Dans un sens, c'est appréciable. Il nous montre la vraie vie des gens, le quotidien, le banal. Il fait volontairement l'impasse sur beaucoup de violence, on ne voit quasiment pas d'armes ni de drogue, quasiment pas de sexe. Devant sa caméra, les dieziocheros sont des victimes du gouvernement et de la police. C'est son choix et je le respecte, parce qu'il faudrait être naïf pour prendre les gars -et les filles- de la 18 pour des anges, on sait tous le mal qu'ils font, Poveda a choisi de nous montrer leurs bons côtés et c'est tout à fait honorable.

J'ai beaucoup aimé le programme de réinsertion avec des jeunes qui travaillent dans une boulangerie, la font tourner, essaient de faire quelque chose de productif pour le quartier. C'est positif, c'est beau, c'est honnête... et c'est surtout toujours en allégeance à la Mara. Parce que cette puta est partout.

Il y a aussi les multiples scènes où la religion essaie mais n'y parvient pas. Le gamin sort d'un centre de redressement après s'être fait baptiser, il dit qu'il va suivre Jesus, etc... mais une fois dehors, on sait bien que ce qu'il donnera à Jesus ne lui rapportera rien. Dans les Maras au moins, il devra collaborer et faire des sacrifices mais la 18 l'aidera en retour.

Le passage où deux jeunes vont taper aux portes de tout le quartier afin de collecter de l'argent pour un de leurs "frères" mort dans la rue n'est pas mal non plus ; ils demandent de l'argent mais à ceux qui ne peuvent pas disent "ce n'est pas grave, aucun souci". Est-ce enjolivé ou pas, je ne sais pas, mais c'était plutôt positif.

Aussi, puisque c'est un film tout en subjectivité, je me permettrai de dire que j'ai adoré la longue scène de soufflettes entre mecs, huhu, le machisme latin...

Enfin, le parti pris du réalisateur c'est bien, mais il ne faut pas croire que les dieziocheros sont des Bisounours. Il choisit de nous les montrer comme des victimes et, d'accord, la police là bas n'est sûrement pas parfaite. Enfin, il ne faut pas oublier que pour chaque 18 mort dans ce film, il y a un ou deux 13 (Mara Salvatrucha non mais vous suivez ou bien ?) sur le carreau.

Ce qui m'amène à mon dernier point : je casse "La Vida Loca" alors que j'avais encensé "Sin Nombre" ? La honte !

Et bien oui, parce qu'il faut replacer les deux films dans leurs contextes. "Sin Nombre" était une fiction et avait de fait parfaitement le droit d'utiliser des procédés scénaristiques et des effets de mise en scène dramatiques. Par contre dans "La Vida Loca", pour moi ça ne passe pas, ça n'a pas lieu d'être.

Il est d'ailleurs très intéressant de faire le parrallèle. "Sin Nombre" est une fiction, elle montre la violence et la brutalité des mareros à travers la Mara 13. "La Vida Loca" est un documentaire, il montre la facette domestique à travers la Calle 18.

Tout ça pour dire : regardez les deux, préférablement "Sin Nombre" en premier puis "La Vida Loca" mais n'attendez pas trop du second, surtout si vous aimez la jouissive subjectivité faussement innocente d'Olivier Delacroix, quand au premier prenez le comme la simple fiction qu'il est.

Hasta luego !

(Oh, ça me fait penser, le langage sud-américain est proprement fascinant, outre le fait que je ne comprends qu'un mot sur mille, leur phrasé marmonné, leurs intonations, leurs "s" prononcés normalement et pas chipotés comme en Espagne, leur façon de ne pas vraiment accentuer la phrase comme s'ils s'en foutaient et le nombre de lettres qu'ils avalent dans les mots me divertit beaucoup.)

 

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Commentaires
R
Ta critique est super intéressante ^^ C'est dommage qu'il ait pas réussi à faire un documentaire comme il s'en ventait... <br /> <br /> J'essayerai de voir Sin Nombre... mais probablement pas celui-là, donc, après ce que tu en as pensé.
G
Bah il reste unique c'est déjà ça. Mais encore trop mis en scène alors que la vérité devrait suffire à nous toucher.<br /> <br /> Et en parlant de merde :<br /> http://www.programme-tv.net/videos-tv/vu-a-la-tv/xb3mjm-ross-kemp-au-coeur-des-gangs-bande-annonce/
G
C'est bien dommage, ç'aurait pu être intéressant d'avoir un documentaire aussi profondément impliqué dans la vie des maras, mais non, il a fallu le dénaturer. Je crois que c'est pour attirer le grand public, du style, "c'est un documentaire mais t'inquiète ça fait comme si c'était un film". Je ne sais pas ; c'est l'impression que ça me donne ! Franchement ça me dégoûte, il aurait pu être génial vu l'immersion totale du journaliste dans ce milieu, ça aurait pu donner quelque chose d'unique et d'exceptionnel...
One Sketch A Day Keeps The Doctor Away !
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